Les centaines de malheureux qui ont péri dans la Manche en cette fin novembre, ceux qui vont suivre, après les noyés de la Méditerranée, sont d’abord les victimes des tyrans d’Asie, d’Afrique et du Moyen Orient qui leur ont fait fuir leurs pays pour échapper à leur dictature. A la dictature et à la misère aussi, car il ne faut pas oublier que ce type de régime est ou devient presque forcément prédateur. A part pendant la phase de quasi-abondance qui accompagne un décollage économique, ils n’ont rapidement plus les moyens de satisfaire à la fois l’appétit insatiable de l’étroite base sociale constituée par leurs soutiens, et d’acheter la paix sociale. La corruption qui leur est consubstantielle et accompagne forcément l’absence d’état de droit, en creusant les inégalités et en engendrant instabilité et insécurité, s’avère rapidement être un poison pour l’économie. Xi Jin Ping est en train de se heurter à cette réalité.
Ce phénomène qui a sa source dans le tiers monde se développe pour le plus grand ravissement des populistes en Amérique et en Europe, pour qui il est un formidable fond de commerce. Pour certains en Europe d’ailleurs, il comporte même un double avantage car si les migrants veulent parfois traverser leur pays, personne ne veut y rester. La Hongrie de Victor Orban en offre un triste exemple.
L’instrumentalisation cynique de ces malheureux que l’on a qualifié « d’arme migratoire », par Erdogan ou Loukachenko illustre parfaitement ce mécanisme et il faut bien comprendre qu’il n’a rien d’accidentel mais qu’il est un élément d’un problème plus vaste.
Il en est ainsi parce que les démocraties, par leur simple existence sont un problème pour les tyrannies. Le « mauvais exemple » de Hong Kong, plus encore peut-être que celui de Taiwan est catastrophique pour Pékin, comme son gouvernement l’a compris depuis longtemps. Il en va de même pour Moscou et l’UE. Ces peuples voient en effet juste de l’autre côté d’une frontière leurs homologues, si proches d’eux par la culture, et si loin par le sort qui leur est fait.
La solution de fond, même si elle est est bien difficile à mettre en œuvre en pratique, est d’abord de faire comprendre que la fuite, même si l‘on peut en comprendre la nécessité dans l’urgence, n’est pas la vraie solution.
Pas plus que la libération du peuple allemand de la tutelle soviétique ne pouvait se faire sur le seul territoire de l’ancienne RFA, la sauvegarde des peuples du tiers monde ne se fera pas sur le seul territoire des démocraties. Bien au contraire, les déséquilibres engendrés par ce type de crises les menacent en alimentant « l’illibéralisme »populiste.
En suite, la deuxième partie de la solution est de faire comprendre l’inanité du discours populiste et nationaliste quand il condamne le «droit de l’hommisme», et prône xénophobie et isolationnisme.
Outre la trahison de nos valeurs qu’il comporte, ce genre d’expédient ne sert à rien. Volens nolens les démocraties sont condamnées à exporter leur modèle, comme l’avait fort bien compris Françis Fukuyama. Il y a là de quoi penser à l’apostrophe cinglante de Churchill aux munichois : « Vous avez choisi le déshonneur pour éviter la guerre. Vous aurez les deux ! »
N ‘en déplaise aux « déclinistes » les perspectives sont loin d’être défavorables aux démocraties. Les revendications des peuples du tiers monde pour la liberté et la prospérité, sont un puissant levier pour une stabilisation du monde. Les appuyer est une lutte que les pays libres doivent assumer non seulement parce-qu’elle est juste, mais aussi parce que leur sécurité est à ce prix. Certes, elle sera longue et difficile, mais elles en ont les moyens politiques et économiques, et surtout leur « soft power est dominant » et son rôle majeur ne doit pas être sous estimé dans ce que Clausewitz appelait les « forces morales » dans la guerre. On en a vu un exemple instructif avec la « Guerre Froide » au XX° siècle.
L’idée de «démocratie dans un seul pays» - ou dans quelques uns- n’a pas plus d’avenir que n’en avait «le socialisme dans un seul pays» de Staline et on ne peut qu’approuver Joe Biden pour sa récente initiative de réunir les 9 et 10 décembre, un sommet, même virtuel, des démocraties.
par
Jean Dubois
Brigitte Panah-Izadi
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